La passagère by Amélie Fonlupt

Auteur:Amélie Fonlupt [Amélie Fonlupt]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Rivages
Publié: 2022-08-17T12:19:49+00:00

Un jour, à quinze heures donc, elle rassembla les ingrédients nécessaires pour faire des crêpes au chocolat. Elle déposa un peu de farine dans un bol, versa du sucre dans un doseur, pesant chaque ingrédient avec minutie. Elle s’empara du beurre et en coupa un morceau en appuyant sur les extrémités du couteau. Elle cassa des œufs, laissant des morceaux de coquille glisser dans le récipient, jeta le tout dans un saladier blanc. Après quoi, elle saisit une tablette de chocolat dont elle fendit les carrés, et tandis qu’elle léchait le bout de ses doigts, je lui tapotai l’épaule pour lui demander un verre d’eau. L’œil réticent, elle enchaîna : « Un verre d’eau ? Tu es folle, ma pauvre petite ! Un verre d’eau ?! Je rêve ! La recette, je la connais sur le bout des ongles et j’ai jamais entendu parler d’un seul verre d’eau. Oh ça non ! Ça se saurait ! Et puis, ne t’en mêle pas si tu veux bien. Chacun son domaine et, si je peux me permettre, tu as encore un peu de travail. Alors, remets-y-toi et laisse-moi faire le mien. Et, s’il te plaît, ne viens plus m’embêter. Non, vraiment, je déteste qu’on vienne mettre le bazar quand je cuisine. Ce n’est pas contre toi, ma pauvre petite. Non, bien sûr. Mais voilà, j’aime rester concentrée. »

Elle marqua un temps et, d’un air sérieux, se recoiffa devant son miroir. Pendant trois ou quatre secondes durant lesquelles des résidus de farine se déposèrent sur sa masse grisonnante, elle ajusta ses cheveux, le temps de dompter ses émotions. Puis elle repositionna d’un geste énergique son tablier, l’allure ayant son importance.

« Oui, je… je… ou en étais-je ? Voilà, je perds le fil et après je ne sais plus. Il ne faut pas faire ça. Et pour te répondre, ce n’est pas un verre d’eau qu’il faut, c’est quatre ! Et ce n’est pas de l’eau mais du lait ! Il faut quatre verres de lait lorsque l’on fait des crêpes. Enfin, nous en parlerons quand nous serons détendues. C’est important que je te transmette quelques-unes de mes recettes, seulement là, ça n’est pas le moment, tu comprends ? Non, j’ai besoin de calme. Je ne peux pas t’apprendre quand c’est le foutoir. Il y a un temps pour tout, tu comprends ? Un temps pour faire et un temps pour enseigner. Un temps pour construire et un temps pour apprendre. Hein ? Tu comprends ? »

J’ai répondu de façon un peu insolente en ouvrant son réfrigérateur, parce que j’avais surtout compris qu’il en fallait peu pour l’embrouiller. Et je me suis servi à boire. L’air désemparée, elle me laissa faire tout en inspectant ma main sur la poignée, pensa à vérifier si les siennes étaient propres, ne l’étant pas, les secoua et les frotta sur son tablier. Ça y est. Elle pouvait se remettre à la tâche. Elle fronça les sourcils, souffla en faisant des vagues avec ses lèvres, trempa son index dans la pâte et le porta à la bouche.

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